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Orthophoniste à la Fondation, un métier utile, concret et diversifié
03/03/2025
« Nos missions utiles et concrètes améliorent la vie quotidienne des jeunes »
Zoé Brylinski est orthophoniste au Pôle surdité Paris 14e où elle intervient à temps partagé dans ses trois services1. Elle explique en quoi consiste son métier et témoigne de la diversité de son exercice et de l’importance du travail en équipe pour accompagner de jeunes sourds et malentendants.
Quel est le public accueilli au Pôle surdité 14e et les modes de communication utilisés ?
Nous accueillons des jeunes sourds ou malentendants, âgés de 3 à 20 ans, implantées cochléaires ou appareillées - ou non, avec des degrés de surdité et de récupération auditive différents. Ces jeunes n’entendent et ne communiquent pas tous de façon similaire : certains sont dans l’oral plus que dans la Langue des Signes Française (LSF) Voir Glossaire, d’autres dans la LSF. Nos collègues, hormis les sourds qui pratiquent la LSF, nous sommes tous en « bimodal, », soit oral et LSF.
La LSF ou le code LPC (Langue (française) Parlée Complétée - code manuel qui accompagne la lecture labiale) sont des choix de communication qui peuvent être complémentaires. Il s’agit d’un code qui associe des sons et des positions des mains, en lien avec l’oral. Alors que la langue des signes est infinie au même titre que n’importe quelle langue et peu en lien avec l’oral. La LPC demande de bonnes capacités cognitives et un apprentissage précoce, or la plupart des jeunes accueillis ici ne connaissent pas le code.
Les jeunes accueillis ont des troubles complexes du langage et pour certains, des handicaps associés. Chacun a des besoins différents, et c’est notre travail de les adapter en fonction des capacités et des ressources de chaque jeune.
Quelle est votre première mission ? A l’arrivée de chaque jeune au centre, je procède à une évaluation orthophonique complète. Cette évaluation permet de comprendre ses compétences, ses difficultés et ses besoins spécifiques. En entretien, j’observe si le jeune communique à l’oral ou totalement en LSF, dans une langue étrangère ou dans une langue des signes étrangère ou s’il n’a accès à aucune langue… A-t-il accès au sens des pictogrammes ? Comment entend-il en complément de l’audiogramme de l’ORL : peut-il répéter des mots ? Entend-il des bruits ? Sait-il reconnaître un tambourin, un piano ? Je lui fais entendre des sons avec des logiciels et des instruments de musique – en les cachant puis en lui montrant.
De plus j’évalue, auprès des jeunes qui sont à l’oral : leur langage oral (articulation, syntaxe, vocabulaire), en expression (parviennent-ils à prononcer tous les sons de la langue ? À répéter des mots, des phrases et à s’exprimer de façon intelligible ?) et en réception (quelle est leur compréhension orale ? De mots, de phrases, de récit).Nous testons le niveau du langage écrit, de lecture et d’écriture (syntaxe et d’orthographe), ainsi que les compétences transversales : la mémoire, l’attention et la concentration, le balayage visuel (repérer un item sur une feuille par exemple).
Nous réévaluons ces compétences tous les ans pour ajuster la prise en soin.
L’une des spécificités du pôle est d’accueillir des adolescents allophones. Comment travaillez-vous avec eux ?
Les langues de signes ont toujours des similarités parce qu’elles se basent en partie sur l’iconicité. Autrement dit, nous copions le réel en le décrivant avec le corps : les émotions, manger, boire… Nous travaillons de façon pluridisciplinaire (enseignants, éducateurs, paramédicaux) à l’acquisition du français en faisant des ponts entre l’oral, l’écrit et la LSF.
Pour les jeunes allophones, nous essayons de créer des ponts entre leurs langues d’origine et la LSF, mais aussi de les aider à s’adapter à un environnement où la communication ne se fait pas uniquement par signes.
Le jeune peut présenter un bon niveau scolaire, être suivi au pôle un ou deux ans où il obtiendra une validation d’acquis et de compétences, puisque nous proposons notamment des formations professionnalisantes en cuisine. Les jeunes accueillis font également des stages à l’extérieur pour affiner leur projet professionnel et les aider à leur insertion dans la vie d’adulte. Une partie de nos missions en tant qu’orthophonistes va être de faciliter la communication du jeune avec l’extérieur, et notamment le public ne connaissant pas la langue des signes, à travers la co-construction d’outils à la communication (exemple : petit glossaire de LSF à emmener sur les lieux de stage).

A quelle fréquence les voyez-vous en consultation ?
Les séances sont bi-hebdomadaires, individuelles et personnalisées et durent trois quart d’heure en moyenne. Nous travaillons le langage oral : la compréhension (auditive pure et auditive avec accès à la lecture labiale, le vocabulaire, les formules de phrases), l’expression (l’articulation, la syntaxe, le vocabulaire). Nous travaillons également le langage écrit, très important chez les personnes sourdes car il permet de pouvoir communiquer avec les personnes ne connaissant pas la langue des signes, mais aussi de solidifier l’acquisition du langage oral (base fixe pour prononciation des mots et l’ordre des mots dans les phrases). Toutefois, l’écrit n’est pas facilement accessible pour tous. En effet, une partie du langage écrit s’apprend en lien avec l’oral et l’audition : l’association des graphèmes (lettres) et des phonèmes (sons). Lorsque ce n’est pas possible, nous passons par l’autre voie d’apprentissage du langage écrit, la voie globale, c’est-à-dire visuelle : apprendre des mots visuellement par cœur. L’apprentissage de la syntaxe est également très important car chez nos jeunes sourds, il manque souvent des petits mots, comme les déterminants, et la flexion des mots (genre et nombre) et des verbes (conjugaison), car en langue des signes, tous les mots ne sont pas signés (exemple de transcription type qu’on peut retrouver au début de l’apprentissage du langage écrit chez les jeunes sourds accueillis dans notre pôle : « je dormir lit »).
Nous évaluons et rééduquons la lecture labiale pour faciliter leur compréhension à l’extérieur et qu’ils puissent distinguer un bonjour ou un pardon, afin de savoir a minima comment répondre aux sollicitations. O et i sont ainsi très différenciés alors que o et u sont très proches. On leur apprend aussi la forme globale des mots, courts ou longs, en une ou plusieurs syllabes…

Quels sont vos outils ?
Nous avons plusieurs outils pédagogiques pour visualiser les mots dans la phrase grâce à des étiquettes avec un code de formes et de couleurs : le féminin avec le trait rose, le masculin sans, les petits points pour le pluriel… Chaque couleur joue un rôle dans la phrase (sujet, verbe, COD, complément de lieu ou temps, adjectif…). Avec Fanny Jouanin, une collègue partie au Pôle surdité de l’Essonne, nous avons adapté La méthode de dysorthographie de Renée Bertrand, un manuel pratique de rééducation.
Nous sommes en train de confectionner des classeurs de communication en pictogrammes à scratchs pour les jeunes de la SEHA, afin de les préparer à d’éventuels stages ou orientation. En effet, les perspectives d’orientation en LSF sont peu nombreuses, nous essayons de faciliter leur communication avec le monde extérieur, et notamment avec les personnes qui ne signent pas. Nous complétons également notre banque de pictogrammes en en dessinant d’autres à la main pour constituer des phrases. C’est valable aussi, pour chaque personne définie par un « nom signe » (un attribut physique, un tic, une gestuelle…). En général ce sont les autres sourds qui choisissent un signe pour nous désigner en fonction ce qu’ils observent de nous : en fonction de cela, on crée le pictogramme, ce qui permet de les nommer aussi à l’écrit.

Vous travaillez également en collaboration avec d’autres professionnels, comment cela se passe-t-il ?
Le travail pluridisciplinaire est essentiel dans notre approche. Par exemple, avec la psychomotricienne, nous avons animé un groupe « oralité alimentaire ». En effet, certains enfants ne sont pas nourris à la naissance par voie orale mais par sonde et ne développent donc pas tous les stades (succion, mastication…). Or souvent, on parle comme on mange et si l’on ne peut pas mastiquer, on pourra difficilement articuler. Ce groupe a été conçu pour accompagner une jeune afin de la faire manger normalement : elle ne savait pas mastiquer et les risques de fausses routes donc d’étouffement étaient réels. Nous lui avons fait pratiquer des petits exercices de bouche, mais aussi de toucher car cela fait partie de l’apprentissage : l’enfant ne veut pas manger ce qu’il ne peut pas toucher ; ce qui lui a permis de rattraper les stades et progressivement, selon ses possibilités, de manger normalement.
Ce type d’activité fait partie des nouvelles attributions des orthophonistes dont les missions s’élargissent : l’oralité, la rééducation de cognition logico-mathématique… Nous menons aussi conjointement des groupes communication avec une éducatrice de la SEHA.
Le travail en équipe, avec des professionnels de diverses disciplines, enrichit considérablement notre pratique et permet de mieux répondre aux besoins complexes des jeunes.
Ce travail pluridisciplinaire est aussi ce que vous recherchiez ?
En effet, j’apprécie beaucoup le travail en équipe et trouve ici un bon niveau de réflexion commune. Nous mutualisons avec les autres pôles surdité de la Fondation des formations pour les orthophonistes. Nous intervenons également dans les écoles, et depuis peu, dans le cadre de notre SSEFS (Service de Soutien à l’Education Familiale et à la Scolarisation), au sein du collège Morvan auprès de jeunes élèves sourds.
Nous avons toujours le sentiment d’être utiles, et parfois, d’être l’institut « de la dernière chance » pour des jeunes qui, par le passé, n’ont pas pu bénéficier d’accompagnement adapté, de scolarisation, de prises en soin précoces (dont l’orthophonie).C’est donc un travail concret, avec un impact direct sur la vie quotidienne des jeunes, mais aussi sur celle de leurs familles. D’autant que les motivations de chaque jeune sont grandes parce qu’ils sentent que cela leur sert. Ils apprécient ces séances seuls avec un adulte, c’est un moment pour eux. Mais ils sont aussi très contents d’aller en cours, très contents d’apprendre tout simplement.
1 La Section pour Enfants avec Handicaps Associés (SEHA), La Section d’Initiation et de Première Formation Professionnelle (SIPFP), Service de Soutien à l’Education Familiale et à la Scolarisation (SSEFS).
2 Des binômes de jeunes aux profils similaires ou complémentaires sont aussi organisés.
Glossaire
LSF : La Langue des Signes Française est une langue complète avec sa syntaxe.
LPC : La Langue (française) Parlée Complétée est un code manuel qui accompagne la lecture labiale et lève les ambiguïtés des sosies labiaux (ex : PA/BA/MA ou Je marche très vite / Je mange des frites, entrainent le même mouvement des lettres).
Implants cochléaires : Les implants stimulent le nerf auditif par l'intermédiaire d'électrodes posées chirurgicalement dans la cochlée de l'oreille (dans le rocher).
CAMSP : Centre d'Action Médico-Sociale Précoce (0-3 ans)
SAFEP : Service d’accompagnement familial et d’éducation précoce
SEHA : Section pour Enfants avec Handicaps Associés âgés de 3 à 12 ans.
SES : Section d'Éducation et d'Enseignement Spécialisés (6 à 12 ans)
SSEFIS ou SSEFS : Service de soutien d’éducation familiale et à l’intégration scolaire ou à la scolarisation (3 à 20 ans)
Capejs : Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement des jeunes sourds
Ecole de regroupement : Ecole ordinaire accueillant des enfants sourds, en général deux par classe
