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Alzheimer : préserver l’autonomie et une bonne qualité de vie
10/10/2024
« La maladie d’Alzheimer n’est pas une négation de l’existence de l’individu »
Le Docteur Elsa Mhanna est neurologue en hôpital de jour du service de neuro-gériatrie de l’Hôpital Bellan – Espace Imagine. Spécialiste des maladies neuro-évolutives, elle se passionne pour la mémoire et le mouvement. Mais aussi pour des questions éthiques sur le consentement, l’innovation, la fin de vie… Au-delà de sa pratique clinique, elle est membre active de l’association « Donner des ELLES à la santé », qui milite contre les inégalités de genre dans le secteur hospitalier. Elle partage ici son parcours, sa vision de la médecine et ses engagements.
Quel a été votre parcours ? Je suis née et ai grandi au Liban où j’ai commencé mes études de médecine avant de poursuivre ma spécialisation à la Pitié-Salpêtrière, centre de référence en neurologie. J’ai été notamment formée dans le service du Pr Catherine Lubetzki, auprès des Pr Marie Vidailhet et Pr Richard Levy... J’ai poursuivi par un Master 2 en Neurosciences cognitives et comportementales, puis par un M2 d’Ethique et bioéthique. J’ai également obtenu un M2 de gestion des établissements de santé, pour parfaitement comprendre le système de santé.
Quels sont vos domaines de recherche ? Les pathologies cognitives comme la maladie d’Alzheimer et apparentées au premier plan. Ce qui m’a toujours fascinée, c’est la relation entre la mémoire et le mouvement. La mémoire est très identitaire : ce qui me passionne est de comprendre comment le cerveau transforme l’information et la stocke en fonction de sa nature. Avec les autres fonctions cognitives et la coordination motrice, l’ensemble constitue un continuum fascinant. La neurologie est une discipline très vaste mais travailler sur ces pathologies combine ces deux fonctions.
Vous avez rejoint l’Hôpital Bellan en 2019, pourquoi et comment ? J’avais fait de la neurologie avec des patients de tout âge et voulais explorer la ‘médecine de la personne âgée’. Pour approfondir ce que ma spécialité peut apporter dans ce domaine surtout que les pathologies que je soigne concernent surtout cette population. Je consulte depuis à l’Hôpital de Jour où je reçois ce type de patients, mais aussi des plus jeunes, à partir de 40 ans en moyenne, qui se présentent pour plaintes cognitives ou des mouvements anormaux.
Quelle est le motif de ces consultations ? La plainte la plus fréquente concerne les oublis ou les difficultés attentionnelles : le patient dit passer d’une pièce à l’autre sans savoir ce qu’il vient chercher, oublier ses rendez-vous, les prénoms de ses petits-enfants… parfois ce sont les proches qui en témoignent. Ces patients sont adressés par leur médecin traitant ou viennent d’eux-mêmes, ou à la demande de leurs proches. Les personnes arrivent à différents stades : certains à un stade précoce, d’autres compensent très longtemps et consultent lorsque leur état s’aggrave brutalement et d’autres encore sont à des stades avancés.
Quelles sont les différentes étapes de la prise en charge ? J’essaie d’abord d’identifier la problématique principale. Il n’est pas rare de retrouver en plus des éléments cognitifs, des éléments thymiques et anxieux. S’il s’agit de plainte légère qui n’oriente pas vers une pathologie neuroévolutive, je propose de suivre le patient en consultation. Pour les cas plus complexes, je programme un Hôpital de Jour (HDJ) pour des bilans neuropsychologiques, une imagerie, voire une ponction lombaire ou d’autres interventions en fonction du tableau clinique : il faut parfois deux à trois HDJ pour poser un diagnostic. Si le patient y est éligible, nous lui proposons de la remédiation cognitive en ateliers avec nos neuropsychologues, APA, diététiciennes…
En quoi consiste le suivi ? Le suivi se porte sur des traitements symptomatiques, la maladie d’Alzheimer n’étant pas curable à ce jour ; il s’agit de s’assurer de maitriser les symptômes pouvant impacter la qualité de vie du patient et mettre en place des mesures pour préserver l’autonomie le plus longtemps possible.
Qu’est-ce que vous appréciez dans le contact avec vos patients ? J’aime beaucoup travailler avec les personnes âgées, elles ont une richesse d’expériences et de souvenirs qui rendent chaque rencontre passionnante. Lors de la consultation, je leur fais raconter un souvenir ou parler de leurs centres d’intérêt. S’ils aiment l’actualité, je saisis cette approche. S’ils ont un livre avec eux, je leur demande de me le résumer…C’est une façon d’évaluer la mémoire et le langage qui crée une belle alliance thérapeutique. Dans la maladie d’Alzheimer par exemple, les souvenirs récents ont du mal à se former, le patient garde longtemps ses souvenirs anciens que le cerveau arrive à ‘protéger’.
Que trouvez-vous plus difficile ? La perception de la maladie d’Alzheimer comme une fatalité ou la fin de la vie… Cette maladie est le grand mal des dernières décennies ; les gens l’associent à la fin de leur vie et de leur existence ; j’essaie toujours de déconstruire cette perception : c’est une pathologie ‘comme les autres’ et non pas une négation de l’existence de l’individu.
Que proposez-vous ? Il y a deux buts à la prise en charge : préserver l’autonomie le plus longtemps possible et maintenir une bonne qualité de vie. Lesquelles peuvent fonctionner séparément : on peut être autonome mais ne pas avoir une bonne qualité de vie, quand on est dépressif par exemple. Et à l’inverse, ne pas être autonome mais avoir une bonne qualité de vie en ayant accepté sa vulnérabilité et en ayant intégré les aides que nos proches et la société peuvent apporter.
L’annonce du diagnostic est complexe, comment la gérez-vous ? Je ne pratique pas de médecine paternaliste, le patient doit tout savoir, c’est à lui de décider de sa prise en charge, à la mesure de ses capacités et de ses troubles cognitifs. Mais j’ai aussi une règle, celle de ne pas annoncer plus d’une ‘mauvaise nouvelle’ par consultation. Je m’adapte au patient et bien sûr, respecte toujours ce qu’il ou elle souhaite. Pour cela, je privilégie la voie directe de la communication avec lui, tant qu’elle est possible. J’essaie de comprendre ce qu’il y a derrière sa demande. S’il a fait la démarche de consulter c'est qu'il ressent certains troubles. S’il ne veut pas savoir, est-ce de l’anxiété ? Ou souhaite-t-il un autre type d’accompagnement ? Enfin, j’implique toujours les aidants avec l’accord des patients : c’est une relation triangulaire qui se crée dans le soin des pathologies neuro évolutives cognitives.
Vous vous impliquez dans Donner des Elles à la santé : pourquoi et comment ? En 2022, en tant que membre du bureau de la société savante de neurologie, j’ai été sollicitée pour participer au colloque annuel de l’association. J’ai découvert des chiffres édifiants sur la place des femmes à l’hôpital et les violences sexistes et sexuelles et ai décidé de rejoindre l’association et ne cesse depuis de mesurer le chemin à parcourir. Le secteur de l’hospitalisation privée est certes plus en avance, puisque le modèle d’entreprise y a défini des règle et lois contraignantes aux employeurs à la différence du secteur public. Cependant, privé ou public, l’hôpital est un lieu particulier où l’on peut excuser des violences sexuelles et sexistes par la culture carabine.
Quelles sont vos thématiques ? La jeunesse et l’innovation. La jeunesse : sensibiliser les externes, internes et jeunes praticiens, le plus tôt possible pour sortir des stéréotypes et faire de l’hôpital un lieu véritablement mixte. L’innovation en santé, parce qu’il s’agit d’un autre domaine fermé aux femmes en matière de financement et d’égalité en matière de mixité dans les parcours médecins-entrepreneurs. Moins de 10% des travaux financés sont menés par des femmes. J’en mesure les enjeux étant moi-même impliquée dans plusieurs projets innovants dans mon domaine d’expertise.